Dalia Baassiri, sur la trace de notre vécu

Dalia Baassiri, sur la trace de notre vécu

L’artiste libanaise participe actuellement à une exposition collective où onze artistes ont réuni leur imaginaire dans un lieu familier et intimiste de la capitale française, proche de l’atelier, celui d’un ancien garage désaffecté de la Goutte-d’Or.

Dalia Baassiri, sur la trace de notre vécu

L’exposition collective, sous l’intitulé « Garage Band », organisée par la platforme artistique parisienne HATCH avec la collaboration de no/mad utopia galerie, regroupe les œuvres de onze artistes dont celles de la Libanaise Dalia Baassiri.  Leurs installations éphémères investissent l’espace de leur vision du monde, des mythes qui les fondent et des ennemis qui les menacent et interrogent chacun à leur manière une certaine archéologie du futur. La trace qu’ils laisseront dans ce lieu, humain ou industriel, interroge ce qui est immuable. Dalia Baassiri n’avait pas pour vocation de devenir artiste. Née en 1981 à Saïda, au Liban-Sud, où elle grandit, elle dépeint sa ville comme une cité très peu inspirante, un lieu où rien ne se passait. Elle vit l’instabilité de la guerre et passe le plus clair de son temps dans l’intérieur familial, entourée de ses frères et sœurs, de ses parents attentionnés, une mère affectueuse et un père juge qu’elle décrit comme un homme juste, autoritaire et intègre, une figure inspirante et réconfortante. « Mon père, dit-elle, m’a beaucoup soutenue et encouragée quand il a fallu se tourner vers une carrière d’artiste, j’ai toujours partagé avec lui mes grands projets. Il a toujours cru en moi. » Dalia confie avoir eu une enfance et une adolescence ordinaires. « Je n’avais pas de perspectives d’avenir, confie-t-elle, et je pensai devenir juge comme mon père. » Monter de petites installations, créer, dessiner était juste naturel, des gestes qu’elle répétait au quotidien. « Je ne m’ennuyais jamais étant enfant, j’arrivais à créer mon propre univers. » Elle se dirige sans grande conviction vers le design et obtient en 2003 son diplôme en graphic design à la LAU (Lebanese American University). Après 10 années passées dans des agences où elle acquiert une grande expérience, sa décision, prise à l’âge de 29 ans, de se tourner vers l’art est irrévocable. Encouragée par un de ses directeurs d’agence lorsqu’il relève qu’elle perdait son temps à faire ce métier et qu’elle ferait mieux de se concentrer sur l’art, elle abandonne en 2011 sa carrière, décide de faire un master à Londres, s’inscrit au programme de la Chelsea College of Art et reprend son matériel de dessin.

Dalia Baassiri, « Fork » 2022, graphite sur papier 50x35 cm. Photo DR

Dalia Baassiri, Fork, 2022, Graphite sur papier, 50x35 cm

 

L’éphémère des matières

Dans son travail interdisciplinaire, allant du dessin à la peinture en passant par la sculpture, elle trouve refuge et réponses dans les paramètres de son intérieur. De la poussière aux murs et tout ce qui se trouve entre les deux, le monde domestique devient le terrain fertile le plus familier pour le discours artistique. Ayant vécu la guerre civile, elle s’interroge sur le processus de survie d’un peuple dans un pays en conflit permanent. Comment s’identifier à un terroir alors qu’on a passé la plus grande partie de son enfance à l’intérieur ?

Les heures passées dans sa demeure familiale influencent son approche artistique et déterminent le choix des matières qu’elle exploite. Toujours attirée par la poussière et son déplacement dans l’air, elle utilise aussi bien la cendre que l’écume de savon, matière qui lui permet de créer des formes, au caractère éphémère, flexible et porté à disparaître. Elle questionne la fragilité, comme si elle questionnait l’irréversibilité de la condition humaine et pose une réflexion sur une réalité toujours instable, vouée à toujours se modifier. Elle se penche aussi sur un mécanisme domestique familier pour explorer ses possibilités. Le trou d’évacuation d’un évier, qui avale l’eau et tout ce qui va avec. « Comme s’il représentait l’Univers vu de la lune, dit-elle, il résout tous les problèmes, et s’il n’existait pas, tout aussi bien que les évacuations des rues d’une ville, nous aurions été inondés par le chaos. » C’est ainsi qu’elle réalise une sculpture en prenant une empreinte dans un évier de cuisine, reproduit les bulles de savon qui deviendront plus tard des silhouettes humaines.

Dalia Baassiri, « My glasses 2022 », graphite sur papier 30x50cm. Photo DR

Dalia Baassiri, My glasses, 2022, Graphite sur papier, 35x50 cm

 

Entre mouvement et exaltation

Dalia Bassiri a l’intelligence de la main, et une obsession pour les matières friables. Enlevés, spontanés, mais d’une maîtrise parfaite et du regard et de la main, elle déploie sur sa feuille blanche traits et formes dans un mouvement à la fois suspendu dans l’espace et signe dynamique d’un instant comme volé, une densité, une lourdeur, ou bien une légèreté, c’est selon. Les techniques se croisent, graphite, aquarelle, crayon mine, acrylique, jusqu’à l’aboutissement, le moment où le geste du peintre s’arrête. Ses dessins opposent de façon complémentaire le mouvement et l’exaltation. La palette est souvent monochrome. Des traînées de noir évoquent encore la poussière donnant à la surface dessinée une vibration à fleur de peau. La question que se pose sans cesse la jeune femme est la suivante : comment définit-on un artiste ? C’est en regardant à l’œuvre un nettoyeur de vitres à Londres – « Je regardais les traces qu’il laissait par le mouvement de ses bras », indique-t-elle – qu’elle arrive à la conclusion que tout le monde peut l’être.

Elle présentera son projet final avec une œuvre réalisée avec du graphite, de l’eau et de l’acrylique, mémorisant l’historique de ses mouvements comme si elle nageait dans l’espace de la toile, accompagnée d’une performance sonore. « Tous mes sens étaient en éveil, je réalisais un acte de nettoyage sur mon canevas. » Dans son intérieur londonien où une fuite d’eau laissait tomber les gouttelettes sur le sol, elle place un canevas pour recueillir l’eau qui au fil des heures laissera l’empreinte d’un trou. Elle concrétise la possibilité des deux dimensions que l’on peut obtenir en alliant les matières premières et l’art. En 2013, à la suite des événements de Abra (des combats armés à Saïda), des balles incendiaires mettent le feu à la maison familiale. Ce sera une fois de plus, pour l’artiste, un prétexte pour laisser sa force créatrice embrasser ce drame pour le transcender en une magnifique œuvre d’art. Elle reproduira le mur de l’espace à l’identique dans une magnifique fresque (travaillée à partir de la cendre) comme un témoignage une fois de plus de l’éphémère et du fragile. « Les cendres symbolisent l’avenir, l’espoir, puisque la mort, c’est la renaissance, dira-t-elle. Reconstruire à partir de cendres est un travail de mémoire. Comme si les cendres contenaient une énergie, ou des souvenirs, ou les âmes des gens ». Ou tourner l’humanité vers son avenir en rendant hommage au passé.

Dalia Baassiri, « Washed Away », une œuvre de la série Sink-ronized, 70x100, graphite sur papier. Photo DR Dalia Baassiri, Washed Away, Graphite sur papier, 70x100 cm

 

Un art voyageur

Les œuvres de Dalia Baassiri, artiste libanaise installée à Beyrouth, ont beaucoup voyagé. Son travail a été présenté sur des plateformes nationales et internationales parmi lesquelles la galerie Janine Rubeiz (Beyrouth), la galerie Odile Ouizeman (Paris), Stand4 Gallery et Community Art Center (Brooklyn NY), Arsenale Nord (Venise), OXO Tower Wharf (Londres), Espronceda Institute of Art and Culture (Barcelona), Art Dubai, Abu Dhabi Art Fair, et bien d’autres.

En 2021, elle a été invitée à participer à « Cities under quarantine ; le projet de boîte aux lettres » par Dongola Books. Dans cet ambitieux projet de livre d’artiste, la maison d’édition a envoyé un cahier vierge à 57 artistes à travers le monde, qui ont réalisé dessus des interventions personnelles.

 

Du 28 juin au 22 juillet 2022 au Garage à la Goutte-d’Or

Dalia Baassiri au sein de l’exposition collective ‘ Garage Band’, organisée par HATCH avec la collaboration de No/mad Utopia galerie, 78 rue Philippe de Girard - 75018, Paris.